Témoignage
Dans le cadre de la campagne, Sortez des sentiers battus, lancée à l’été 2023 sur la plateforme Trouve ton X, nous vous invitons à découvrir le parcours d’Andréane qui a dû faire son deuil d’une carrière policière pour se réorienter et prioriser ses valeurs familiales.
Quel emploi occupes-tu aujourd’hui? En quelques mots, décris-nous ton parcours scolaire et professionnel jusqu’à aujourd’hui.
Plus jeune, je voulais devenir policière. J’avais le profil parfait : super en forme, toujours irréprochable, excellente sous pression, empathique… À la fin de mon secondaire, plusieurs embûches personnelles, familiales et médicales ont mis sur la glace le dépôt de ma demande pour entrer en techniques policières. Mais je suis persévérante, j’ai étudié en sciences sociales tout en travaillant à temps plein dans un centre de détention la nuit, je me suis soignée, remise en forme, mes problèmes familiaux se sont stabilisés et finalement, après trois tentatives, j’ai été admise à la technique.
L’été précédant le début de mon DEC, j’ai subi un accident de la route, mais j’ai persévéré, malgré les douleurs, j’ai réussi à terminer ma technique, même les examens physiques qui sont très exigeants. Malheureusement, la vie avait une autre idée en tête et au mois de juin de ma dernière année de technique, quelqu’un a embouti ma voiture alors que j’étais immobilisée à un feu rouge. Mon véhicule a été projeté dans l’intersection et a été déclaré perte totale. Pendant un moment à l’hôpital, on a pensé que je resterais paralysée, ce ne fut heureusement pas le cas, mais j’ai conservé des séquelles de cet accident. Se tenir longtemps debout, porter un ceinturon, ce n’était plus possible et même si j’arrivais un jour à le faire, une simple radiographie ou une recherche dans mon dossier médical empêcherait automatiquement mon embauche comme policière.
J’ai dû quitter mon emploi en milieu carcéral pour me trouver un emploi assis, c’est ainsi que je me suis retrouvée préposée aux télécommunications d’urgences 911. J’étais excellente, mais la proximité avec les gens me manquait et… Je déteste le téléphone! Je suis très visuelle, alors c’était demandant pour moi de ne jamais voir à qui je parlais.
J’ai donc entrepris une démarche de réorientation professionnelle. Cette démarche n’a rien donné, car j’en revenais toujours à la police! J’avais tant sacrifié pour ce rêve! Je n’avais jamais fait d’écarts, j’avais travaillé dur et puis j’étais excellente! Mes enseignant·es, mes collègues, mes supérieur·es au travail, tout le monde s’entendait pour dire que j’étais sur mon X, et que c’était facile pour moi, naturel même! Cela faisait partie de moi, de ma manière de me définir. J’ai dû faire un vrai processus de deuil pour être capable de voir d’autres possibilités, cela m’a pris trois ans.
Quand je suis retournée voir un conseiller d’orientation, j’étais prête, plus ouverte au processus. J’ai quitté mon poste aux télécommunications d’urgences 911 pour devenir intervenante sociale. J’ai travaillé avec tout plein de clientèles, et pendant des années j’étais sur mon X. J’aidais des personnes comme je l’avais toujours voulu, et mieux même que je l’aurais pensé. Puis, après de nombreuses années, j’ai vécu ce qu’on appelle de la fatigue de compassion. Je recevais tellement la souffrance des gens que j’aidais, que je n’avais plus d’énergie pour ma vie personnelle. J’étais désormais maman de deux jeunes enfants, un autre rêve de toujours. Or, j’étais déchirée de manquer de patience et d’énergie pour eux, alors que je n’en manquais pas pour mes « client·es ». J’avais de la difficulté à prendre congé pour m’occuper de mes enfants et lorsque je le faisais, j’avais toujours quelques urgences à gérer avec ma clientèle vulnérable. Ce dont j’avais besoin, c’était un emploi où je pourrais continuer d’aider et de faire une différence, tout en ayant la flexibilité pour être en accord avec mes valeurs familiales : faire passer ma famille en premier.
À l’étape où j’étais rendue dans ma vie, mon X avait changé… Je suis donc devenue coordonnatrice du Comité consultatif Jeunes de la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT). Je continue à faire une différence, à amener des changements pour aider les gens, seulement je le fais à une échelle plus macro. Peut-être que lorsque mes enfants seront plus vieux, je retournerai sur le terrain. Peut-être que je ferai un peu d’intervention en pratique privée, qui sait? Mais pour l’instant, c’est ici que je suis, et même si je n’avais jamais choisi cet emploi à 15 ans, aujourd’hui je suis parfaitement à ma place.
Selon toi, qu’est-ce qui fait en sorte que ton parcours est unique?
Je pense que tous les parcours sont uniques, mais le mien n’est certainement pas linéaire! J’ai toujours travaillé à temps plein et étudié, alors j’ai quand même accumulé beaucoup d’expériences et de connaissances. Cela me permet de m’adapter à beaucoup de milieux et de tâches diverses. De plus, je suis passée d’un travail ayant pour mission de veiller au respect des lois à un travail en intervention (ce qui a beaucoup de sens, selon moi, mais dans les faits les intervenant·es portent rarement la police dans leur cœur). Les personnes qui croisent ma route sont souvent surprises lorsqu’elles découvrent mon parcours. Je pense que celui-ci est aussi plein de résilience. J’ai souvent été contrainte de faire des choix, j’ai dû apprendre à vivre avec mes limitations, à les expliquer aux employeurs et parfois à adapter mes tâches. Toutes ces épreuves ont forgé ma personnalité et ont aidé mon travail d’accompagnement auprès d’autres personnes.
Quelles sont les plus grosses embûches que tu as réussi (ou pas!) à surmonter? Comment y es-tu parvenu?
Les deux accidents de la route sont certainement de grosses embûches! J’ai aussi fait face à des difficultés avec les bureaux de santé pour certains emplois dans les CIUSS ou au gouvernement. On me dit que je ne suis pas apte au travail en raison de mes limitations, mais d’un autre côté je n’ai aucune reconnaissance officielle de la part des autorités gouvernementales. Je fonctionne et je travaille, je suis donc entre deux chaises. J’ai surmonté cela en visant de plus petits employeurs où j’avais l’occasion d’expliquer ma situation directement avec la personne responsable des embauches. J’ai aussi dû décortiquer mes compétences pour les faire valoir auprès des employeurs dans le domaine de l’intervention. Avant d’obtenir de nouveaux diplômes en intervention, j’ai aussi privilégié les démarches de RAC (reconnaissance des acquis et des compétences), afin de limiter le nombre de cours que je devrais suivre sur les bancs d’école.
Qu’est-ce qui te motive le plus dans ta situation actuelle?
La possibilité d’apporter des changements à grande échelle, la flexibilité d’horaire, la possibilité de télétravail et aussi les apprentissages! Il y a certaines de mes tâches qui sont nouvelles, différentes de ce que je faisais sur le terrain… C’est plus de rédaction, de la supervision de recherches, plus de politique… Des choses sur lesquelles j’aurai l’occasion de me développer et de me former d’autant plus que j’adore apprendre! C’est certain qu’on peut toujours s’améliorer, peu importe ce qu’on fait, mais en tant qu’intervenante, j’étais dans mes pantoufles, je connaissais mes affaires et j’étais rarement « challengée », en changeant de tâches, je retrouve des défis au travail.
As-tu une anecdote amusante à raconter sur ton parcours?
Je me suis déjà fait « reconnaître » par des gens avec lesquels j’étais intervenue en milieu carcéral ou comme cadette policière alors que je travaillais avec eux comme intervenante. Heureusement, j’ai toujours traité les gens humainement et avec respect, cela n’a donc jamais nui au lien que j’avais avec eux. L’un d’eux m’a dit que j’avais quitté le « côté obscur » pour venir du bon côté de la force, haha!
En réfléchissant à ton parcours, que dirais-tu à ton « jeune toi » si tu en avais la possibilité?
Je lui dirais de cesser de tout planifier au détail près parce que rien, mais rien, ne va se passer comme prévu! Qu’elle va avoir l’impression de ne jamais voir la lumière au bout du tunnel, mais elle est là, et malgré tout ce qui m’est arrivé, je ne changerais rien, parce que je suis bien où je suis et que ce sont toutes ces épreuves qui ont faites de moi qui je suis. Bon OK, si je pouvais ne pas avoir de douleurs et de limitations, j’aimerais bien ça! Mais si je n’en avais pas, je serais à un endroit complètement différent aujourd’hui, une personne complètement différente… Alors je me dirais : « En fin de compte, ton histoire, elle finit bien (même si ce n’est pas fini, je suis encore jeune!) ».
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