Suivre sa passion, malgré les obstacles : le parcours de Lola

Témoignage

Peux-tu nous parler de ton parcours professionnel jusqu’à maintenant?

Je suis originaire d’Haïti, née d’une famille plutôt aisée, où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 17 ans. Au milieu des années 70, mes parents, qui étaient divorcés, ont jugé qu’il serait préférable de s’installer à l’extérieur du pays : l’un en Europe et l’autre aux États-Unis. Ainsi, ma famille s’est retrouvée dispersée à travers le monde. Quelques années plus tard, en 1980, je suis arrivée au Canada avec ma grand-mère maternelle en tant que touriste. Ma grand-mère a décidé de me garder avec elle, en me cachant des autorités. J’ai donc vécu illégalement au Canada pendant six ans.

Un jour, j’ai pris la décision de me livrer moi-même aux autorités d’immigration. Elles m’ont bien accueillie et m’ont proposé un programme humanitaire grâce auquel j’ai pu obtenir ma résidence permanente.

Sur le plan académique, j’ai d’abord obtenu un diplôme d’études professionnelles (DEP) en administration bureautique ainsi qu’en commerce et tourisme international. Par la suite, j’ai choisi de me réorienter pour suivre ma passion : l’art. J’ai entrepris une formation collégiale et obtenu un diplôme en design de mode à l’Académie Internationale du Design de Montréal, où j’ai eu l’honneur d’être l’une des diplômées de la promotion de 1999. J’ai également complété plusieurs certificats dans des écoles spécialisées et des institutions muséologiques de la Société Québécoise du Canada, notamment en art visuel, en présentation et mise en valeur des collections de costumes et accessoires, en normalisation et méthodes d’inventaire des œuvres d’art, en documentation photographique du patrimoine, ainsi qu’en design d’intérieur. Parallèlement, j’ai poursuivi des études universitaires en sociologie à l’Université Laurentienne à Ottawa et en gestion des affaires à l’Université de Montréal.

Professionnellement, j’ai accumulé près de trois ans d’expérience, à partir de 1989, en tant qu’adjointe de direction pour l’Association Canado-Québécoise de Promotions Culturelles. De 1993 à 1997, j’ai travaillé comme conseillère en voyages pour l’Agence de Voyage Crémazie et Voyage Lisbonne, où j’ai été pendant plus de quatre ans. En 1999, j’ai intégré le Cirque du Soleil, où j’ai eu la chance de travailler pendant plus de 10 ans. J’y ai évolué dans plusieurs départements : actions culturelles, affaires publiques, citoyenneté et événements spéciaux. J’ai commencé à titre de technicienne, de responsable de la conception et de la mise en place de la collection de costumes et accessoires du patrimoine, puis j’ai été promue coordonnatrice des expositions promotionnelles des spectacles à travers les plus grandes villes du monde. Ce fut une expérience extraordinaire et enrichissante, qui m’a permis de développer mon sens de l’esthétique, de la composition visuelle et un esprit d’équipe exceptionnel. Le Cirque du Soleil a été pour moi plus qu’un travail, mais une véritable école de vie!

Depuis 2017, je suis travailleuse autonome en gestion de projets en décoration d’intérieur (conception de condos et maisons modèles, home staging) et en conception de vitrines promotionnelles. Ce parcours artistique a été pour moi une expérience merveilleuse, constructive et très instructive!

En parallèle de ma carrière, je me suis impliquée bénévolement auprès de plusieurs organismes, notamment au sein du Y des femmes comme agente d’événements, de la Fondation One Drop et du programme Cirque du Monde comme agente de développement artistique. J’ai également apporté mon soutien aux femmes violentées, aux personnes âgées seules, et aux jeunes avec des besoins particuliers.

Quel a été le plus grand défi que tu as rencontré en tant que femme sur le marché du travail?

En tant que femme, mon plus grand obstacle a été de concilier vie personnelle et professionnelle. J’ai été mariée deux fois à des hommes jaloux, ce qui m’a exposée à de la violence psychologique, notamment par des humiliations, puis à de la violence physique. Mon défi le plus important a été de protéger mes enfants issus de ces unions tout en préservant ma dignité.

Y a-t-il une expérience marquante ou un moment inspirant de ton parcours que tu aimerais partager?

L’expérience la plus marquante de ma vie a été au Cirque du Soleil. À l’époque, mon ex-mari et mon entourage me répétaient qu’en tant que femme noire, une entreprise de cette envergure ne m’engagerait jamais. Pourtant, j’y ai travaillé pendant plus de dix ans avant de devoir quitter à la suite des recommandations des médecins, en raison d’une maladie.

Quelle réussite ou quel projet te rend particulièrement fière? Qu’est-ce qui fait que cette expérience est importante pour toi?

Sensible aux enjeux d’exclusion et d’inégalité sociale, surtout dans mon pays natal : j’avais mis en place un projet philanthropique en réalisant des campagnes de financement auprès de ma communauté, des entreprises et en organisant des événements thématiques. J’ai pu mettre sur pied un programme de valorisations de dons et de talents naturels pour de jeunes femmes âgées de 17 à 27 ans qui ne fréquentaient plus l’école, sans-emploi, ni revenu sous aucune autre forme et qui résidaient dans les zones défavorisées en Haïti. Le but était qu’elles soient en emploi et gagnent dignement leurs gagne-pains. Cependant, après 18 mois de fonctionnement, l’assassinat du président du pays a provoqué une grande insécurité, me contraignant à arrêter le programme.

Cette expérience est importante pour moi, cela m’a permis de me prouver mes propres forces et mes capacités à me surpasser.

Si tu pouvais donner un conseil à d’autres femmes qui se heurtent à des barrières sur le marché du travail, quel serait-il?

D’après mes expériences de vie, trois choses sont essentielles. La première est d’apprendre à s’aimer soi-même et à avoir confiance en soi. La deuxième consiste à découvrir son don, son talent et ses plus grandes aspirations, puis à acquérir tous les outils nécessaires pour en faire son métier. Enfin, la troisième, c’est de ne pas avoir de préjugés. Et pour ceux et celles qui en ont, cela leur appartient.

J’ai fini par comprendre, étant une femme emphatique et bienveillante, que l’on pouvait me percevoir comme une personne plus fragile. J’ai donc dû apprendre à forger mon caractère pour me faire respecter à ma juste valeur, tout en restant bienveillante. Je suis convaincue que lorsque l’on est passionnée, bien formée et dotée d’une bonne estime de soi, aucun obstacle ne peut nous arrêter.